colloque médico-sportif de Nevers 1996
COMMUNICATION PUBLIÉE DANS : Bulletin Association Sport Biologie, 4,1997
Les bilans d'aptitude réalisés pour les athlètes par les plateaux techniques posent de nombreux problèmes à l'origine d'une désaffection importante pour le suivi médico-scientifique et, par voie de conséquences, d'une dégradation des résultats sportifs. Parmi ces raisons sont souvent avancés : éloignement entre centres ou bassins d'entraînement et plateaux techniques, pertes de temps, coût élevé, qualification scientifique du personnel insuffisante, matériel d'analyse défectueux, insuffisanoe d'interprétation, applications à l'entraînement et la compétition mal intégrées. A ces remarques générales s'ajoute, en ce qui concerne les examens de laboratoire pourtant particulièrement propices à la détermination d'aptitude bioénergétique du fait de conditions environnementales stables ou modulables et reproductibles, le non respect des masses musculaires actives ou de la spécificité de la gestuelle sportive. À contrario, sous réserve de bien maîtriser les témoins biologiques et physiques utiles, le terrain présente l'avantage de conditions techniques, d'équipement, matériel, gestuelle sportive d'entraînement et de compétition, particulièrement propices à la mesure du rendement ou de l'efficacité biomécanique.
La « machine humaine » étant composée de deux sous-structures complémentaires, l'une consacrée au raffinage de notre supercarburant biologique l'ATP, qualifiée de « biochimique », l'autre spécialisée dans son utilisation et la restitution d'énergie mécanique dans le milieu extérieur, qualifiée de « biomécanique », la mesure d'aptitude imposera au minimum de caractériser le potentiel de ces deux sous-structures. La production d'ATP étant directement liée à l'utilisation d'oxygène et de carburants primaires, lipides et glucides, cette mesure d'aptitude nécessite d'une part d'imposer des puissances connues et donc de pouvoir les vérifier, d'autre part de mesurer simultanément la dépense énergétique correspondante de l'athlète (8,9). L'objectif est donc de faire du terrain un laboratoire et du matériel utilisé habituellement par le sportif un ergomètre parfaitement calibré (15).
La force moyenne F nécessaire à la propulsion d'une embarcation dépend essentiellement de la résistance à la pénétration dans le milieu aquatique ; elle est une fonction puissance de la vitesse (généralement une fonction carrée, voire plus, en particulier pour les bateaux de slalom) ; la puissance développée W° est donc liée approximativement au cube de la vitesse moyenne ou à une puissance supérieure : F#aV2 et W°=FV#aV3. À cette contrainte s'ajoute en réalité celle nécessaire à la mobilisation de la pagaie et des deux bras ainsi que d'une partie plus ou moins importante du corps. Mais quelque soit la complexité de ce coefficient a qui dépend donc de multiples facteurs, tels que forme de l'embarcation, qualité physico-chimique de la surface et de l'eau, surface mouillée et poids de l'ensemble embarcation+ athlète, poids et forme de la pagaie, morphologie de l'athlète, etc. Sa simple détermination individuelle couplée à une mesure de la vitesse moyenne de progression fournit le meilleur des ergomètres spécifiques.
- Mesure des coefficients de traînée a
Deux groupes de techniques sont utilisables pour obtenir ce coefficient. Le premier regroupe toutes les techniques directes de mesure dynamométrique de F couplée à une vitesse V : soit tractage par embarcation à moteur, treuillage à partir d'un berge, soit ancrage dans un canal ou piscine à flux laminaire réglable. Ces techniques sont surtout intéressantes pour déterminer la composante aquatique. Le deuxième regroupe les techniques indirectes qui consistent à effectuer une calibration préliminaire de l'athlète en laboratoire puis une secondaire sur bassin ; on relie donc en premier un paramètre biologique pertinent, généralement la fréquence cardiaque, à la puissance développée lors d'une épreuve triangulaire de puissance progressivement croissante W°= f(FC) ; cette épreuve est renouvelée sur bassin avec mesure simultanée de fréquence et de vitesse, ce qui permet d'obtenir, à partir de la relation FC = g(V), la relation puissance - vitesse souhaitée, W°= f[g(V)]. Généralement on trouve pour a des valeurs voisines de W /V3. Une estimation de ce coefficient peut être obtenue en utilisant le coût énergétique moyen du pagayage que nous avons fourni en 1992 (14), V°02 # 0.17 W°+ 9 ; il suffit alors, pour une embarcation donnée, de mesurer V°02 à une vitesse V, directement par échanges gazeux ou indirectement à partir de FC, et d'intégrer ces valeurs dans la formule moyenne a # (V02 -9)/0.17V3. En course en ligne, les coefficients a obtenus vont environ de 3.5 en K1 jusqu'à plus de 10.5 en C2, en passant par 6 et 7.5 en K2 et C1.
- Mesure de vitesses V
Deux groupes de techniques sont utilisables : les techniques directes utilisent un speedomètre aquatique qui mesure les déplacements réels relatifs de l'embarcation par rapport au milieu aquatique, sous réserve qu'il soit situé en proue et suffisamment petit comme le Speedwatch pour ne pas perturber la glisse de l'embarcation. Les techniques indirectes sont plus simples, scientifiquement moins critiquables sous réserve que le plan d'eau soit stable : elles consistent à chronométrer le temps de déplacement t de l'embarcation entre des repères ou des balisages ancrés dans l'eau (bouées) ou sur la berge (mires), espacés d'une distance connue d, (V = d/t), manuellement ou automatiquement à l'aide de cellules photoélectriques. Bien que nous ayons mis au point différents types de protocoles, continus et fractionnés, permettant de travailler sur différents types de sites (bassin large, canal étroit, plan d'eau fixe ou mobile), le protocole le plus simple tant pour sa réalisation que son exploitation reste encore à ce jour le protocole continu sur bassin balisé de 400 ou 500 m (16). Dans le cas de plans d'eau mobiles ou ventés, comme lors des mesures effectuées pour le Centre d'Avignon ou Dijon, une épreuve triangulaire de cadence progressivement croissante d'allers et retours avec mesures simultanées de FC et de V permet d'obtenir rapidement la vitesse moyenne du courant et/ou du vent et de corriger les vitesses enregistrées : en effet des deux régressions obtenues à l'aller et au retour on peut déduire que pour toute FC donnée, la vitesse du courant et/ou du vent, est égale à la moitié de la différence entre celles de l'aller et du retour. C'est une technique comparable qui a été utilisée pour déterminer que la part relative de dépense énergétique revenant à la pénétration dans l'air était voisine de 10% de la dépense énergétique totale de propulsion.
- Imposition d'un protocole croissant
Différentes techniques sont utilisables : celles qui consistent à calquer l'une des conséquences de l'activité motrice soit la fréquence cardiaque, soit la vitesse obtenue, sur un planning préfixé, sont excessivement délicates à mettre en oeuvre : elles imposent à l'athlète un contrôle visuel fréquent et inhabituel qui peut perturber la qualité de l'activité gestuelle, d'autant plus que la perception du signal lui-même est perturbée par le temps de réponse de l'intégrateur (cardiofréquencemètre ou speedomètre). L'imposition d'une cadence de pagayage progressivement croissante est donc moins onéreuse et beaucoup plus simple à mettre en oeuvre : les cadenceurs mécaniques ou électroniques ne sont intéressants que s'ils sont programmables ou si l'activité est fractionnée, autorisant un réglage à chaque arrêt ; le walkman pré-enregistré qui libère totalement l'athlète de toute manipulation est la solution la plus efficace et la moins onéreuse. Une autre solution consiste à augmenter cette cadence au feeling, ce que font parfaitement beaucoup d'athlètes, et de contrôler les cadences réelles : pour ce faire il est indispensable de se souvenir que le comptage d'un nombre de coups de pagaie sur un temps imposé (surtout lorsqu'il se limite à quelques secondes) est une aberration, puisque l'imprécision sur la minute, même en-dehors de toute erreur de comptage, peut atteindre 2 coups (premier et dernier) multipliée par le rapport de la minute au temps de mesure, par exemple 12 pour 5 secondes, soit une imprécision de 24 cpm ! Il est donc indispensable de faire l'inverse, c'est à dire de chronométrer un temps t (sec.) sur un nombre de coups de pagaie préfixé (n+1), par exemple 21 ou 41, ou solution riche, de posséder un compteur-enregistreur de coups. La fréquence de pagayage est en effet le nombre de périodes à la minute, soit en K1 par exemple 60n/2t, et la cadence des coups de pagaie est double, 60n/t.
Différentes techniques sont théoriquement utilisables : les techniques directes qui consistent à effectuer la mesure des échanges gazeux en situation sont non seulement très onéreuses, mais aussi très handicapantes sur le plan gestuel et perceptif. Sans même aborder la précision des systèmes actuels, l'encombrement et le poids du système de mesure et d'enregistrement et la gêne occasionnée par le masque, représentent des handicaps majeurs dès qu'il s'agit d'aborder les mesures fondamentales d'aptitude biomécanique de rendement ou d'efficacité gestuelle (20). À titre d'exemple, toutes conditions étant égales par ailleurs, le simple fait d'alourdir l'ensemble embarcation + athlète d'un kilogramme, se traduit sur un 1 000 mètres olympique en kayak, par la perte de près d'une longueur d'embarcation ! Les techniques indirectes qui consistent à utiliser un témoin biologique pertinent présentant une liaison forte avec la dépense énergétique, de mesure simple, précise, peu onéreuse, non perturbatrice pour la gestuelle, sont donc très supérieures. La qualité de la mesure dépend bien évidemment de la qualité de la liaison entre ce témoin et la dépense énergétique et donc de la qualité de la calibration dont un protocole précis, préalablement validé en ce qui concerne la fréquence cardiaque ou dans certains cas très particuliers, la ventilation, a été largement décrit (13,15). Il comporte trois étapes : l'établissement en laboratoire sur ergomètre spécifique de la relation dépense énergétique-fréquence cardiaque ; le même jour , une épreuve identique sur bassin de mise en relation de la fréquence cardiaque et de la vitesse pour obtention de la relation individuelle spécifique dépense énergétique-vitesse, E=f(V) ; le jour des tests, une recalibration vitesse-fréquence cardiaque du jour, V = g(FC), pour introduction de cette variable dans la relation spécifique individuelle et obtention de la dépense à partir de la fréquence cardiaque, E = f[g(FC)].
- Mesure automatique de fréquence cardiaque FC
La mesure automatique en continu à partir d'un télémètre ou d'un cardiofréquencemètre mémorisateur est de loin la technique la plus intéressante et la plus fiable, d'autant plus qu'elle permet d'appliquer immédiatement ou en temps réel légèrement différé des logiciels puissants du type de PERFORM mis spécifiquement au point pour l'exploitation des tests de terrain à partir de la calibration individuelle des athlètes (16).
- Mesure manuelle de fréquence cardiaque FC
Comme nous l'avons rappelé au chapitre 1.1, la fréquence cardiaque doit impérativement être mesurée par chronométrage t d'un nombre prédéfini n de périodes cardiaques obtenues par palpation artérielle carotidienne, humérale ou radiale, en comptabilisant n+1 battements : FC = 60 n/t . Cette mesure généralement irréalisable en cours d'activité peut éventuellement être utilisée pour déterminer par rétro-extrapolation la fréquence moyenne de fin de palier ou fin d'épreuve (8). Cette technique utilise la régression mathématique qui décrit l'allure décroissante de la fréquence en cours de récupération. Il est donc indispensable de chronométrer systématiquement la durée précise entre la fin de l'exercice et le début de la première séquence de mesure ainsi que la durée de chaque séquence et surtout d'effectuer sa calibration préliminaire permettant de préciser selon le type d'exercice et d'athlète l'allure de la décroissance.
Si l'objectif du suivi est « l'optimisation du potentiel et des performances », deux groupes de mesures sont donc indispensables pour caractériser valablement l'aptitude de l'athlète : celles caractérisant l'aptitude biochimique, et celles caractérisant l'aptitude biomécanique.
Plusieurs critères pertinents sont utilisés pour caractériser le potentiel de production d'ATP d'un athlète : le maximum aérobie, limite de puissance et de dépense énergétique correspondante (consommation maximale d'oxygène V°O2max) au-delà de laquelle le rendement biochimique de la production d'ATP s'effondre du fait d'une participation obligatoire importante des mécanismes anaérobies. Cette première référence biologique fondamentale peut être complétée par la capacité énergétique, relation individuelle entre la durée biologiquement soutenable et la puissance ou la dépense énergétique correspondante ou à défaut la transition aéro-anaérobie, zone de puissance et de dépense énergétique sous-maximales caractérisées par l'apparition du fléchissement du rendement biochimique en liaison avec un déséquilibre métabolique cumulatif entre les processus de production et d'élimination des témoins du métabolisme anaérobie, lactates, protons, radicaux libres. La cinétique aérobie, qui caractérise la rapidité de régulation et d'adaptation du métabolisme aérobie reste peu utilisée (9). Les témoins anaérobies tels que puissance maximale anaérobie ne peuvent être classés dans cette rubrique puisque leur résultat dépend à la fois de l'aptitude biochimique et de l'aptitude biomécanique et qu'aucun moyen ne permet de préciser l'importance respective de ces deux facteurs dans la performance réalisée.
- Maximum aérobie
La détermination de la puissance maximale aérobie, de la consommation maximale d'oxygène, de la vitesse et de la cadence de pagayage correspondante sont excessivement simples et rapides : il suffit d'imposer à l'athlète, toujours avec son matériel d'entraînement ou de compétition, une épreuve triangulaire de cadence progressivement croissante sur bassin balisé, épreuve comportant environ 6 à 7 paliers sous-maximaux, avec enregistrement simultané de la fréquence cardiaque. L'excellente relation mathématique généralement obtenue entre la vitesse moyenne et la fréquence cardiaque, permet de calculer la vitesse aérobie maximale théorique correspondant à la fréquence cardiaque maximale individuelle. L'obtention de V°O2max ou de W°max (ou PMA) s'obtient immédiatement, si l'athlète a été calibré en laboratoire à partir de la relation V°O2 = f(FC) ou si la traînée globale de l'ensemble athlète-embarcation a été déterminée et la relation W°=f(V) établie ou même V°O2=f(V) . La fréquence cardiaque maximale n'étant pas toujours parfaitement connue, il peut être nécessaire de la vérifier. Pour ce faire, plusieurs solutions ont été préconisées : la mesure directe soit en poursuivant l'épreuve triangulaire jusqu'à épuisement, soit en réalisant un sprint maximal de une à deux minutes; la mesure indirecte en limitant le sprint à quelques dizaines de secondes (20 ou 30) en enregistrant alors l'évolution cinétique de FC pour laquelle le programme PERFORM fournira la limite théorique recherchée.
- Capacité énergétique
La détermination de la relation entre intensité ou dépense énergétique et durée nécessite de réaliser en théorie un minimum de 4 à 5 épreuves réellement exhaustives à différents niveaux de puissance. Ceci étant biologiquement irréalisable sur une période limitée, deux adaptations permettent d'en obtenir une estimation satisfaisante. La première part du constat que la relation habituelle étant d'allure
logarithmique, le calcul du coefficient d'endurance e ne nécessite que la connaissance de deux performances t1 et t2 réalisées sur deux distances, par exemple 1 000 m et 10 000 m, et la mesure simultanée des fréquences cardiaques correspondantes d'état stable FC1 et FC2. La motivation la plus forte étant généralement celle de la compétition, il suffit bien souvent d'utiliser des performances récentes enregistrées sur ces distances et de vérifier les fréquences cardiaques d'état stable à des vitesses moyennes correspondantes (19).
e = LN [(FC1 - FC2)/(FC2 - FC0)] / LN (t1 /t2)
La deuxième utilise la détermination indirecte du temps d'endurance théorique mise au point en 1978 (3) : les deux épreuves exhaustives sont remplacées par deux épreuves non exhaustives, de puissance supérieure à la puissance de transition, de durée limitée à vingt minutes, éventuellement réalisées sur ergomètre spécifique. Les temps d'endurance théoriques t en minutes se calculent à partir des fréquences cardiaques moyennes de la onzième à la quinzième minute FC11-15, de la seizième à la vingtième FC16-20 et de la fréquence cardiaque maximale FCm.
t = 5 (FCm - FC11-15) i/(FC16-20- FC11-15) + 13
Les fréquences d'état stable sont remplacées par les fréquences moyennes FC16-20
- Transition aéro-anaérobie
Cette détermination se déroule en deux étapes : la première consiste à échauffer l'athlète pendant une vingtaine de minutes, soit de manière normalisée, par exemple grâce à un exercice triangulaire progressivement croissant évitant l'accumulation de lactates, ou de manière fractionnée amenant à une charge lactique, soit encore plus simplement de manière libre ; quelque soit le type d'échauffement, l'objectif est de terminer l'échauffement par 5 minutes d'état stable à une cadence de pagayage stable correspondant à la puissance (ou cadence ou vitesse ou fréquence cardiaque) de transition aéro-anaérobie présumée, par exemple 75 à 80% de la vitesse aérobie maximale, ce qui représente environ 85 à 90% de la fréquence cardiaque maximale individuelle, ou éventuellement celle trouvée en laboratoire. Un premier prélèvement d'une goutte de sang par microponction au lobe de l'oreille pour détermination de la lactatémie L1 est immédiatement suivi d'une épreuve de pagayage à la même fréquence d'une durée de vingt minutes environ (t2-t1); un deuxième prélèvement est réalisé dans les mêmes conditions immédiatement à l'arrêt pour détermination de L2. Pour favoriser la rapidité et la qualité du prélèvement, on réalise généralement avant l'épreuve un massage doux de l'oreille et l'application d'une pommade révulsive ; un premier prélèvement est réalisé au repos et suivi d'une compression par une petite pince ; lorsqu'on enlève celle-ci, une simple friction légère élimine le petit caillot de la brèche cutanée, ce qui permet de réaliser plusieurs prélèvements successifs sans avoir à renouveler les microponctions. Des lactatémies identiques ou proches confirment l'état stable caractéristique de la transition (9,12). Des valeurs décroissantes L2<L1 sont caractéristiques d'une sous-estimation et croissantes L2>L1 d'une surestimation. Dans ces conditions, il faut soit renouveler l'épreuve, soit plus simplement appliquer une correction à la fréquence cardiaque de transition FCt qui tient compte de la dérive du lactate et d'un paramètre individuel k/aM fonction de la relation Vú O2/F, a = Vú O2m/(Fm-Fo) en ml/min/kg/bpm, du poids corporel M en kg et de k l'équivalent en O2 du lactate en mlO2/mmol/l, dont l'amplitude varie avec l'espace de diffusion et de métabolisation (environ 200 à l'équilibre).
FCt = FC1 - [k/aM] x [(L2 - L1)/(t2-t1)]
Deux étapes sont à prendre en considération dans le suivi biomécanique : la première est une mesure basale ou témoin de l'efficacité énergétique dont l'objectif est d'établir la relation mathématique individuelle d'un athlète et de son matériel, entre sa vitesse de progression et sa dépense énergétique correspondante V = f(E). La deuxième est celle qui consiste à vérifier la validité de différents choix ou options technico-tactiques ou de matériels (essais) sur cette efficacité et l'amélioration des performances.
- Mesure d'efficacité témoin
Cette mesure qu'on peut rapprocher d'une mesure de rendement lui est en réalité très supérieure (13) ; les raisons essentielles en sont que :
1) le rendement W/E est une valeur moyenne et approximative sans aucun intérêt pratique pour l'athlète ou l'entraîneur, voir même dangereuse puisqu'elle conduit comme il l'a été enregistré dans plusieurs disciplines sportives, à sélectionner des adaptations technico-tactiques contraires à l'amélioration des performances ;
2) l'efficacité est une fonction, V = f(E°) donc utilisable sur toute la gamme de mesure des vitesse réalisables et, à titre d'hypothèse, aux gammes de vitesses supérieures fixées comme objectifs de performances futures;
3) l'efficacité est beaucoup plus accessible aux athlètes et entraîneurs dans la mesure où elle intègre, non la puissance développée (généralement totalement méconnue), comme c'est le cas pour le rendement, mais la vitesse, grandeur courante et aisément mesurable. Cette mesure s'effectue simplement après calibration de l'athlète en laboratoire, en réalisant une épreuve triangulaire classique sur bassin balisé avec mesure de fréquence cardiaque. L'établissement de la relation d'efficacité s'effectue par simple lissage mathématique grâce au logiciel PERFORM. La connaissance de cette fonction permet donc pour un athlète donné et un matériel donné de prédire ses performances quelles que soient les distances de compétition, de le situer par rapport aux références théoriques idéales, ou à celles de la littérature, ou aux meilleures embarcations du moment, etc.
- Mesure des variations d'efficacité
La vérification de la validité des améliorations de matériels, de stratégie ou de technique est une deuxième étape excessivement importante dans une optique d'amélioration ou d'optimisation des performances individuelles. Elle a été utilisée avec les succès que l'on connaît dans différentes disciplines et pour la préparation de plusieurs records du monde en cyclisme, natation, course à pied, etc. et en course en ligne, lors de la progression spectaculaire de cette discipline alors exclue sur le plan international des 10 meilleures nations jusqu'au rang de 4e, quasiment à égalité avec le 3e au moment des championnats du monde de Vaires-sur-Marne en 91. Le protocole utilisé est identique au précédent, à la différence près qu'une séquence essai , de matériel, technique ou tactique à tester, sélectionnée par l'entraîneur ou l'athlète, est introduite de façon périodique à la place d'une séquence témoin. Ce protocole PCVA (Protocole croissant à une variable alternée), mis au point à l'ASTB en 1984 et dont l'analyse s'effectue automatiquement grâce au programme PERFORM, doit utiliser des périodes éloignées de celles des rythmes biologiques et environnementaux (13). Les rythmes internes des oscillations biologiques cardiocirculatoires ou respiratoires s'étendent de 3 Hz environ à 10-1 Hz; les rythmes des autres effecteurs comme ceux de l'environnement oscillent en général entre 10-4Hz et 10-5 Hz; de 10-2 Hz à 10-3 Hz différents protocoles alternés permettent donc d'éliminer tous les facteurs individuels ou environnementaux parasites autres que le facteur technico-tactique essai à analyser (16).
PCVA à périodes courtes (30" à 2')
Le protocole continu sans interruption est le plus couramment utilisé lorsqu'on dispose d'un bassin balisé de 400 à 500 mètres pour évaluer l'effet d'un facteur technique ou stratégique tel que hauteur de prise de main, type d'attaque, position corporelle, prise de vague, etc. Le protocole fractionné s'utilise plus volontiers lorsque le plan d'eau utilisé est instable pour apprécier ou corriger la vitesse du courant ou du vent, ou insuffisamment large pour baliser une boucle continue ou un circuit fermé de quelques centaines de mètres. Il s'utilise aussi quand le facteur analysé est un facteur tactique ou matériel nécessitant pour passer du témoin à l'essai quelques secondes d'arrêt pour changement de pagaie, de calage, de bateau, etc.
PCVA à périodes longues (5 à 10')
Ce protocole consiste à alterner des protocoles triangulaires successifs de 5 à 10 minutes différant uniquement par un facteur dont le changement nécessite un arrêt de quelques dizaines de secondes, voire quelques minutes, en particulier pour changement de matériel. Ce protocole, compte tenu de sa longueur, oblige à limiter les puissances imposées à des puissances inférieures à la transition en respectant des phases de récupération parfaitement superposables (18).
Compte tenu de l'évolution des techniques et des méthodes concernant le suivi médico-scientifique des athlètes, les mesures d'aptitude qui s'effectuaient essentiellement en laboratoire il y a une vingtaine d'années, peuvent dorénavant s'effectuer plus rapidement et à moindre coût sur le terrain. Si la préférence pour le laboratoire l'emporte encore en ce qui concerne certains aspects de l'aptitude biochimique, la préférence pour le terrain en ce qui concerne l'exploration biomécanique de l'efficacité devient quasiment exclusive. Une telle évolution qui permet d'optimiser rapidement les performances sportives et d'éviter les innombrables essais empiriques et erreurs qui conduisent malheureusement les athlètes plus souvent dans les cabinets de traumatologie que sur les podiums, n'est malheureusement pas sans bousculer l'encadrement technique : l'apprentissage indispensable des méthodologies rigoureuses correspondantes, l'utilisation de matériels d'exploration et de techniques d'exploitation même simples, le balisage systématique des bassins d'entraînement, la connaissance des caractéristiques physiques du milieu et des embarcations, le contrôle et la mise à jour dans les carnets d'entraînement des relations individuelles W- V - w -V°O2 - FC, sont autant de petites contraintes scientifiques qui pèsent sur les entraîneurs. Cette nouvelle donne est d'autant plus mal perçue que beaucoup d'entraîneurs n'ont généralement ni la formation, ni la qualification biologique et scientifique adaptée permettant d'y faire face, et que toute suppléance extérieure leur apparaît alors comme une manoeuvre pure et simple de mise en évidence de ces insuffisances, une perte de l'aura fondée essentiellement jusqu'alors sur leur passé sportif et une déstabilisation du couple traditionnel athlète-entraîneur. Comme je l'ai farouchement défendu en tant que Conseiller technique national médical et recherche jusqu'en 1992, au risque de m'attirer les foudres des vieux clans médical et technique, je reste fermement persuadé que cette évolution indispensable passe par une formation biologique et scientifique systématique des cadres techniques et des médecins d'équipes et une officialisation véritable du statut de médecin d'équipe comme conseiller médico-scientifique de l'Entraîneur national ou du Directeur des équipes. Comme il a largement été prouvé, l'absence de volonté politique claire en ce domaine n'aura pour conséquence que l'augmentation des contre-performances et de la pathologie sportive, l'extension des pratiques anti-sportives, le recours aux gourous de tous poils et la généralisation du dopage.
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