COLLOQUE MÉDICO-SPORTIF F.F.C.K. POITIERS 1997

À PROPOS D'UN CAS CONCRET DE PRISE EN CHARGE EN KINÉSITHÉRAPIE

D'UNE ATHLÈTE DE L'ÉOUIPE DE FRANCE DE KAYAK DE SLALOM

 

Stéphane LAURENS, masseur-kinésithérapeute de l'équipe de France de canoë-kayak de slalom

 

LE CONTEXTE

L'athlète dont nous relatons le cas est membre de l'équipe de France féminine de kayak de slalom pour la saison internationale 1997. À ce titre, elle prépare les championnats du monde, prévus les 25 et 27 septembre. Le 16 août 1997, lors d'une navigation de loisir sur l'océan, elle est victime d'un dessalage et présente un premier épisode de luxation gléno-humérale droite. Le médecin consulté préconise une immobilisation de trois semaines (soit jusqu'au 6 septembre), coude au corps, avec repos sportif absolu de l'épaule. Le départ pour les championnats du monde est prévu le 16 septembre. Un stage d'entraînement de l'équipe de France est programmé du 1er au 5 septembre à Saint-Pierre-de-Boeuf. La kayakiste, qui a commencé sa rééducation, décide d'être présente, notamment pour faire le point avec l'équipe médicale fédérale et avec son entraîneur.

Examen clinique : À la date du 1er septembre, les amplitudes articulaires de l'épaule sont quasi normales. Par contre, il existe des secteurs douloureux pendant l'antépulsion, la rétropulsion et l'abduction du membre supérieur, et parfois lors de gestes brusques. La force musculaire est diminuée, mais reste dans l'immédiat difficile à apprécier. Il y a surtout une grande appréhension et un manque d'expérience de blessure de la part de l'athlète. Celle-ci a la certitude de pouvoir pagayer sur l'eau plate, mais elle est consciente de sa grande fatigabilité. Cependant, sa motivation est restée intacte, elle souhaite travailler et tout essayer pour préparer l'échéance.

Conclusion : Deux semaines et demie après le traumatisme, il est nécessaire de rester prudent et de freiner l'athlète dans ses envies. Nous préferons (athlète, entraîneur et équipe médicale) qu'il n'y ait pas de séance de bateau lors du stage, tout au moins pas en eau vive. Il ne s'agit pas pour autant de repos : nous décidons avec l'athlète de rester dans une logique dynamique de préparation de championnat du monde et donc de travailler tout ce qui peut l'être en dehors du bateau. Les possibilités sont multiples. Nous mettons en place un programme quotidien basé sur deux à trois séances de travail, à dominante de rééducation et/ou de préparation de course.

LE TRAVAIL KINESITHÉRAPEUTIOUE CLASSIQUE

Détente, antalgie, récupération : massage myorelaxant quotidien de l'ensemble de la ceinture scapulaire et du rachis cervical, étirements, manoeuvres de contracté-relaché.

Maintien articulaire actif : travail musculaire statique dans toutes les positions non douloureuses.

Entretien musculaire : travail avec une résistance élastique des gestes simples (flexion, extension, rotations...) et combinés (diagonales).

Entretien proprioceptif :

&emdash; du membre supérieur : recherche de toutes les amplitudes musculo-articulaires, les yeux fermés ; recherche d'une réactivité maximale.

&emdash; général : sollicitation d'efforts ou de réactions dans la position du kayakiste, sur un banc. Travail final avec la pagaie.

&emdash; avec l'eau : en piscine la natation s'avère possible. Exercices d'équilibration en position assise sur des planches, en position kayakiste, avec sollicitations multiples. Maintien du contact avec l'élément aquatique et protection de l'épaule dans celui-ci.

LE TRAVAIL FONCIER

Avec son entraîneur, l'athlète élabore un programme d'entraînement physique général, basé notamment sur des séances à vélo, activité la moins traumatisante pour l'épaule.

LE TRAVAIL D'ÉQUIPE DE NAVIGATION ET DE PRÉPARATION DE COURSE

Afin que l'athlète reste dans la dynamique de l'équipe, nous décidons de travailler aux horaires d'entraînement du reste du groupe, et au même endroit, c'est à dire au bord du bassin de slalom. L'athlète réalise les mêmes séances d'entraînement que les autres, excepté l'activité en bateau. Le travail commence donc avec ses co-équipières par une reconnaissance du bassin et du parcours demandée par l'entraîneur, ce qui lui permet de participer aux discussions techniques de navigation (travail collectif capital de préparation de course). Puis, quand les autres sont sur l'eau, nous travaillons au bord du bassin. La séance dure de trente à quarante cinq minutes en commençant par tout le travail énuméré plus haut (que nous considérons comme un échauffement), pour se terminer par des exercices avec la pagaie. En fin de séance, nous demandons à l'athlète de réaliser la navigation du jour, par un travail de visualisation : En position de bateau sur un banc, elle fait le récit du parcours, en alliant geste et parole, en prêtant attention à un maximum de paramètres physiques (position globale du corps, axe tronc-tête, membres supérieurs-pagaie, membres inférieurs), mais aussi en pensant à toutes les situations critiques pour son épaule et donc aux solutions non douloureuses possibles.

LE BILAN DE FIN DE STAGE

L'athlète a repris l'entraînement, mais surtout retrouvé assurance et confiance, d'autant plus que des courtes séances de bateau sur eau plate ont finalement été possibles. Elle est à nouveau dans une démarche de préparation de grande compétition et non plus à l'arrêt comme à son arrivée. Pendant les dix jours qui séparent la fin du stage et le départ pour les Championnats du monde, elle doit poursuivre l'entraînement physique général, effectuer quelques séances de bateau sur eau plate et s'assurer un suivi médical et paramédical quasi quotidien.

LA COMPETITION

Le 17 septembre, à notre arrivée sur les lieux des Championnats du monde, la situation a évolué de façon satisfaisante. Outre la reprise de travail réalisé lors du stage, nous envisageons tout de suite des séances d'entraînement en eau vive avec le reste des athlètes féminines. Il s'avère que notre athlète reste très fatigable et qu'elle doit absolument trouver des solutions techniques de navigation non douloureuses. Pour cela, des séances d'entraînement personnelles avec l'entraîneur sont nécessaires. Au niveau paramédical nous décidons de lui poser une contention souple adhésive de l'articulation gléno-humérale dans un but antalgique et rassurant. La fin de la préparation de compétition se déroule convenablement avec une progression régulière.

 

Course : Lors de la compétition (épreuve de qualifications), l'athlète n'est pas gênée par ce problème d'épaule, mais sa condition physique générale se révèle insuffisante, ce que nous craignions. Elle réussit à réaliser deux manches moyennes, se classant tout de même à la 26e place mondiale (plus de 40 bateaux inscrits au départ, les 15 premiers passant en finale).

 

CONCLUSION

Notre athlète, pour sa première sélection en Équipe de France Élite, a vécu un Championnat du monde assez difficile à cause d'une blessure importante. Cependant, elle semble avoir tiré profit de cette expérience. En effet, cela pourra lui servir dans l'avenir, notamment dans la prise de conscience de la possibilité d'exploiter toutes ses capacités pour conserver un objectif dans un état de faiblesse. Lors de ces séances d'un type nouveau, elle a même découvert des techniques qu'elle souhaite continuer à développer dans son entraînement quotidien.

 

Du point de vue du kinésithérapeute, ce travail est très intéressant à conduire. Dans le cas présenté, l'attitude de la kayakiste, très demandeuse et motivée, a permis de mettre en place un programme assez riche et surtout porteur d'expérience.

N.D.R.L. Bibliographie succinte :

DANOWSKI R., CHANUSSOT J.C. : Les épaules instables. In Traumatologie du sport, Masson, Paris, 1995

GRIPPON P. : Pathologie de l'épaule en canoë-kayak. Thèse Médecine, Paris-Val de Marne, 1989.

KAPANDJI I. : Physiologie articulaire, Maloine, Paris, 1980, 1-79.

SABOURIN F. : Rééducation de l'épaule instable. Rééducation des traumatismes sportifs, Masson, 1990, 63-68.

TROISIER O. : Principe et technique de musculation, EMC, Paris, 1976, 36055 A 10, 1-5