THE LANCET VOL 339 : JUNE 27, 1992

Traduction P. ROSTAING pour la Fédération française de canoë-kayak

EFFETS SUR LA SANTÉ DE LA PRATIQUE DU CANOË-KAYAK EN EAU VIVE

L.FEWTRELL, A.F.GODFREE F.JONES D.KAY , R.L. SALMON, M.D. WYER

ADRESSES : Center for Research into Environment and Health (Centre de Recherche sur l'Environnement et la Santé), Université du Pays de Galles, Lampeter (L.Fewtrell, MSc, F.Jones, B Tech, D.Kay, PhD, M.D.Wyer, PhD); Acer Environmental, Daresbury, Cheshire (A.F.Godfree, BSc); PHLS Communicable Disease Surveillance Centre (Centre dé Surveillance dés Maladies Contagieuses PHLS), Unité Galloise, Cardiff (B.L. Salmon, MFPHM). Adresser toute correspondance à: Mme L.Fewtrell, Center for Research into Environmment and Health, University of Wales, Lampeter, Dyfed SA48 7ED, Royaume-Uni.

Il existe peu de données quantitatives sur le rapport entre la qualité de l'eau et les taux d'incidence de maladies après des activités de loisirs en eau douce. Nous avons mené une étude par cohorte prospective afin de mesurer les effets sur la santé de la pratique du canoë-kayak en eau vive et en slalom sur deux canaux présentant des degrés différents de contamination microbienne.

Le site A, alimenté par un cours d'eau de plaine, a révélé de fortes concentrations d'entérovirus (moyenne arithmétique 198 pfu par 10 litres) et des concentrations modérées de coliformes fécaux (moyenne géométrique 285/dl) ; sur le site B, provenant d'une retenue d'eau sur les hauteurs, tous les échantillons étaient dépourvus d'entérovirus et la moyenne géométrique de concentration de coliformes fécaux était de 22/dl. Entre 5 et 7 jours après exposition, les canoéistes utilisant le site A présentaient des taux de symptômes gastro-intestinaux et des voies respiratoires supérieures significativement plus élevés que les canoéistes utilisant le site B ou les témoins non-exposées (spectateurs).

A l'instar des baigneurs en eau de mer, les canoéistes en eau douce peuvent être rendus malades par une contamination dûe aux eaux d'égout. Le danger de l'eau douce peut être mesurée au mieux par la numération des virus plutôt que des bactéries.

Lancet 1992;339: 1587-89

Introduction

Les canoéistes, les skieurs nautiques, les véliplanchistes et les baigneurs occasionnels font grande utilisation des voies d'eau intérieures; et, comme pour la baignade en eau de mer, les effets de la contamination dûe aux eaux d'égout donnent lieu à des inquiétudes 12. Les avis différent quant à savoir si les mêmes normes de sécurité microbiologique devraient être appliquées aux eaux douces et marines utilisées aux fins de loisir 23. De plus, il y a actuellement un débat sur les modifications éventuelles à apporter aux normes microbiologiques de la Directive Européenne sur les Eaux de Baignade 4. Bien que le Royaume-Uni soutienne que cette directive se rapporte exclusivement aux eaux de baignade côtières, d'autres pays membres l'appliquent aux sites d'eau douce intérieurs et ses normes servent de références pour les activités de loisir organisées. En dépit des recherches antérieures 5-7, les données existantes sont insuffisantes pour déterminer le rapport microbiologique dose-dépendant entre la qualité de l'eau et l'incidence de maladies pour les diverses activités pratiquées en eau douce. Nous avons utilisé des méthodes mises au point dans les études épidémiologiques menées sur des sites de baignade en mer 8 pour mesurer les effets sur la santé de la pratique du canoë-kayak sur deux canaux en slalom présentant une qualité d'eau différente.

Méthodes

Sur le site A, un canal artificiel en béton détourne l'eau autour d'un barrage situé sur le bras principal du cours d'eau et fournit des facilités pour la pratique du canoë-kayak en eau vive et en slalom. L'eau provient d'un grand fleuve de plaine recevant des effluents de plusieurs installations d'épuration des eaux d'égout en amont. Le site B reçoit de l'eau d'une retenue d'eau non traitée sur les hauteurs. Des échantillons d'eau ont été prélevés sur chaque site pendant l'activité. L'analyse bactériologique comprenait des numérations de coliformes fécaux 9, de streptocoques fécaux 9 et de staphylocoques totaux 10. Des échantillons ont également été utillisés pour le dosage des entérovirus 11 par la mesure des pfu (unités formatrices de plaque) au moyen de cellules rénales de singe vert Buffalo et de la méthode des cellules en suspension; le poliovirus 2 a été utilisé comme témoin.

Les sujets ont été recrutés par des annonces parues dans la presse spécialisée du canoë-kayak et en prenant contact avec des canoéistes et des spectateurs avant les activités. Les données relatives à l'âge, au sexe, à la profession, au lieu de résidence, aux activités aquatiques (dont la pratique du canoë-kayak), à la consommation de divers aliments et aux maladies ont été recueillies sur un questionnaire-grille par des enquêteurs qualifiés, initialement, à l'arrivée sur le site. Les participants ont été interrogés une seconde fois au moment de quitter le site afin de déterminer l'exposition à l'eau, et 5 à 7 jours plus tard, un troisième entretien a été conduit par téléphone afin d'enregistrer les maladies résultantes. Un quatrième questionnaire a été envoyé par courrier afin que les sujets puissent consigner les maladies survenues entre le second entretien et une période de 28 jours.

TABLEAU I - RESULTATS DE L'ECHANTILLONAGE MICROBIOLOGIQUE ENVIRONNEMENTAL

Site A - Indicateur de bactéries
Moyenne géométrique
Log 10 SD
Min
Max
N
Coliformes fécaux l(/dl)
285
0.120
153
515
32
Streptocoques fécaux (/dl)
14
0.213
9
45
32
Staphylocoques totaux ( /d)
14
0.506
9
1780
32
Indicateur de virus
Moyenne arithmétique
SD
Min
Max
N
Entérovirus (pfu/10 litres)
198.4
175.243
46
548
10
Site B - Indicateur de bactéries
Moyenne géométrique
Log 10 SD
Min
Max
N
Coliformes fécaux (/dl)
22
0.517
9
475
36

Streptocoques fécaux (/dl)

13
0.366
9
240
36
Staphylocoques totaux ( /dl)
11
0.276
9
105
36
Indicateur de virus
Moyenne arithmétique
SD
Min
Max
N
Entérovirus (pfu/10 litres)
0
0
0
0
9

Du point de vue de la qualité bactériologique, les différences entre les deux sites ont été comparées au moyen du test U de Mann-Whitney et les différences virologiques au moyen du test T de Student. Des tableaux croisés ont été utilisés pour comparer les fréquences de chacun des 33 symptômes chez les sujets exposés des sites A et B avec l'ensemble des sujets non-exposés des deux sites; l'analyse en vue de rechercher des facteurs de confusion a été effectuée au moyen du test Mantel-Haenszel. Les fréquences des symptômes chez les personnes exposées sur chaque site ont été comparées de façon similaire avec des risques relatifs (RR) et des intervalles de confiance (IC).

Résultats

Le site A a présenté des numérations plus élevées de coliformes fécaux (p < 0.001) et de streptocoques fécaux (p < 0.05) que le site B. De même, la concentration d'entérovirus en moyenne arithmétique du site A (198 pfu/10 litres) a été significativement plus haute que le zéro sur le site B (p < 0.001) (tableau I).

En tout 572 sujets ont été recrutés : 304 sur le site A et 268 sur le site B, sur lesquels respectivement 160 et 218 ont pratiqué le canoë-kayak. On n'a pas obtenu d'informations sur l'exposition de 8 sujets du site A et 3 du site B et ceux-ci ont été exclus de toute nouvelle analyse. 516 sujets (90%) ont passé des entretiens à 5-7 jours et 366 (64%) à un mois.

Des résultats de base significativement différents ont été établis comme suit :

Proportions Homme / Femme

Exposés 328/378 &emdash; Non-exposés 95/183 p < 0.001

Exposées,site A 78/136 &emdash; Exposés site B 17/47 p < 0.05

Age

Exposés 25 &emdash; Non-exposés 28 p < 0.05

(95% IC 23-26)&emdash; (95% IC 26-29)

Consommation de hamburgers

Exposés 93/352&emdash; Non-exposés 27/173 p < 0.01

Les canoéistes sur les deux sites ne se distinguaient pas du point de vue des proportions homme/femme ou de l'âge; et il n'y avait de différences entre aucun des groupes du point de vue de la fréquence de maladies rapportées avant exposition.

 

TABLEAU Il - DIFFÉRENCES DANS LA FRÉQUENCE DES SYMPTÔMES À 5-7 JOURS CHEZ DES SUJETS SOIT NON EXPOSÉS SOIT PRATIQUANT LE CAN0Ë-KAYAK SUR DEUX SITES D'EAU DOUCE DE QUALITÉ MICROBIOLOGIQUE CONTRASTÉE *

symptômes

Site A n=146
Site B n=206
non exposés n=173
A vs non-exposés RR (95%CI)
B vs non exposés RR(95%CI)
A vs B RR(95%CI)

États grippaux

65
52
32
2.4Ý(1,68-3,45)
1,36(0,92-2,02)
1,76Ý(1,31-2,37)

S. respiratoires

47
44
23
2,42Ý(1,55-3,79)
1,61Ý(1,01-2,55)
1,51Ý(1,06-2,14)

Oreilles-yeux

10
4
5
3,37(0,83-6,78)
0,67(018-2,46)
3,53Ý(1,13-11,03)

Gastro-intest.

61
29
17
4,25Ý(2,60-6,94)
1,43(0,82-2,52)
2,97Ý(2,01-4,37

Peau

20
14
13
1,82(0,94-3,54)
0,90(0,44-1,87)
2,02Ý(1,05-3,86)

Autres

87
87
57
2,04Ý(1,60-2,59)
1,28(0,98-2,59)
1,59Ý(1,31-1,93)
*Détails complets disponibles auprès des auteurs.

Ýp < 0.05

À 5-7 jours (tableau II), la fréquence rapportée des symptômes d'infections respiratoires et gastro-intestinales (GI) était significativement plus élevée chez les personnes exposées sur le site A que dans le groupe témoin associé. À un mois, il y avait un excès de symptômes oreille-oeil (13/109 versus 5/131, p < 0.05 3.12, 95 % IC 1.15-8.49) et de symptômes GI (40/109 versus 27/131, p < 0.01: RR 1.78, 95% IC 1.17-2.70). Les sujets exposés sur le site B ont rapporté un excès significatif seulement de symptômes respiratoires à 5-7 jours.

Lorsque nous comparons les canoéistes du site A à ceux du site B, la fréquence rapportée pour tous les groupes de symptômes était significativement plus élevée à 5-7 jours et cet excès persistait à un mois pour les symptômes GI (40/109 versus 24/126, p < 0.01: RR 1.93, 95% IC 1.25-2.98) et les symptômes dermatologiques (14/109 versus 6/126, p < 0.05; RR 2.70, 95% IC 1.07-6.78).

Chez les participants du site A, l'excès de maladies à 5-7 jours dans le groupe exposé persistait quand on prenait en considération l'âge, le sexe et la consommation de hamburgers. Par opposition, sur le site B, l'excès de symptômes respiratoires observé dans le groupe qui a pratiquée le canoë-kayak n'était plus significatif lorsqu'il était pondéré par le sexe, bien que le risque relatif ne fût pas beaucoup modifié (RR 1.53 95% IC 0.94-2.48). En contrôlant l'âge et le sexe, à un mois la seule différence significative entre les canoéistes des deux sites était un excès de symptômes GI chez les participants du site A.

Discussion

Les deux sites représentent les extrêmes dans la qualité d'eau rencontrée par les canoéistes en eau vive au Royaume-Uni. Les résultats semblent indiquer que la contamination microbiologique, telle qu'elle ressort des indicateurs bactériologiques et relatifs aux entérovirus, est associée à une charge notable de maladies chez les canoéistes.

Une faiblesse du protocole de cette étude est que les sujets exposés et non-exposés étaient auto-sélectionnées 12. Ainsi, les canoéistes étaient davantage susceptibles d'être de sexe masculin et de manger des hamburgers ; cependant, un recensement précis des facteurs de confusion potentiels a été possible et ceux-ci n'expliquent pas les différences observées.

Du fait qu'il n'y avait pas de différences significatives dans les symptômes entre aucun des groupes avant exposition, l'explication la plus plausible de l'excès après exposition sur le site A est la mauvaise qualité de l'eau. Un indice supplémentaire de la validité de ce qui précède est la similarité entre les fréquences de symptômes dans les deux groupes exposés le jour de l'étude en comparaison de l'excès limité aux canoéistes sur le site A à 5-7 jours. En effet, sur le site B, seuls des symptômes respiratoires ont été rapportés significativement plus souvent dans le groupe exposé que dans le groupé non-exposé. Ceci peut être un effet du facteur sexe, mais les chercheurs précédents ont laissé supposer que certains symptômes se développant après exposition sur des sites non contaminés d'un point de vue microbiologique sont dûs à un choc thermique, à une infection endogène ou à une irritation chimique.

La réponse à l'étude complémentaire à 4 semaines a été faible. Ces questionnaires étaient remplis par les sujets eux-mêmes, à la différence des entretiens antérieurs. Cependant, les résultats s'accordent globalement avec ceux établis à 5-7 jours et l'excès persistant de symptômes GI dans le groupe exposé sur le site A peut révéler une infection par des germes pathogènes comme Cryptosporidium spp ou Giardia intestinalis .

La conclusion selon laquelle des maladies sont apparues plus souvent après avoir pratiqué le canoë-kayak en eau douce sur le site A recevant des effluents d'eaux d'égout s'accorde dans les grandes lignes avec les résultats des recherches sur la baignade en mer au Royaume Uni 8. Les concentrations bactériennes n'étaient pas remarquablement élevées en comparaison avec les eaux de mer du Royaume-Uni. Toutefois, les concentrations d'entérovirus étaient considérablement plus élevées 14 que ceux enregistrés en eau de mer ayant des concentrations en bactéries intestinales semblables. Celà peut être expliqué par l'apport d'eau de stations d'épuration. Le traitement des eaux usées produit une plus grande diminution des concentrations bactériennes que virales 15. Ces entérovirus, bien que probablement non pathogènes, peuvent offrir un meilleur indicateur de la qualité des eaux douces que la mesure bactériologique.

La pratique du canoë-kayak d'eau-vive dans des eaux de mauvaise qualité s'accompagne d'une recrudescence mesurable de maladies. Des études complémentaires sont nécessaires pour déterminer s'il y a vraiment une relation dose-dépendante avec la contamination bactérienne. S'il en était ainsi, la connaissance de cette relation serait applicable à la formulation des critères de qualité de l'eau et à l'éducation sanitaire.

Nous sommes reconnaissants de leur aide à Mr John Davies et son équipe ; l'Union britannique de Canoë ; M. Mike Hubbard et M. John Gregson ; Mlle Gillian Davis et ses collègues de la National River Authority, ; Dr R. Stanwell-Smith (Centre de surveillance des maladies contagieuses, Colindale ; prof. Jay Fleisher (Université d'état de New-York ; M. Trevor Harris ; Mme Paula Hopkins ; M. Jerome Whittingham ; Dr Ann Delahunty ; Dr Helen Merret (Enviros Ltd) ; et Dr E. B. Pike et ses collègues, Centre de recherche sur l'eau.

REFERENCES

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